Elle arrive !
Elle arrive, elle arrive, la révolution !
Tiens, encore un coup de publicitaires qui tentent de nous refourguer leur dernier produit, se dit-on. Mais pas cette fois. Aujourd’hui, ce sont des geeks faussement décontractés et perroquets d’État qui font sonner leurs trompettes : une nouvelle « révolution numérique » serait en marche avec l’arrivée prochaine de la 5G. La Corée du Sud a été la première à inaugurer sa commercialisation à l’échelle d’un pays en avril, tandis que les ÉtatsUnis, la Chine et le Japon devraient lui emboîter le pas ces prochains mois (dans telle ville ou telle région), suivis par le vieux continent l’année prochaine.
Si la question est celle d’une dépossession généralisée galopante, d’une déréalisation croissante affectant profondément la sensibilité humaine, du resserrement participatif des filets de l’aliénation et du contrôle ou encore du durcissement des conditions d’exploitation, – bref les conséquences sur nos vies de chaque évolution technologique –, il n’y a rien de novateur dans cette couche supplémentaire qu’on va se prendre dans la tronche ! En faisant attention à ne pas prendre pour argent comptant le discours du pouvoir sur chacun de ses « progrès », et en prenant garde à ne pas prendre la partie (telle innovation) pour le tout (la domination), comme certains opposants aux manipulations génétiques du vivant ou aux nanotechnologies ont parfois été tentés de le faire, on ne peut toutefois pas s’arrêter au constat que la 5G sera le même en pire. Ni rester les bras ballants face à l’accélération du désastre ambiant, au prétexte que tout se vaut et qu’il y a déjà tant à détruire. Car au fond, c’est aussi une question de perspective.
Cette cinquième génération de standards considérée comme une « technologie clé » est essentiellement un saut de puissance qui va permettre à la domination d’accroître de manière significative son emprise, en ouvrant une somme de possibilités qui font saliver des bataillons de chercheurs, d’industriels et de startupeurs. Concrètement, en mettant dans un même panier le réseau internet et les smartphones d’un côté, la multiplication de capteurs (en ville comme au turbin) couplés à des appareils et machines en tout genre de l’autre, on a sous nos yeux d’immenses recueils et échanges de données. Dans ce cadre, la 5G permet des débits théoriques jusqu’à mille fois plus rapides que ceux des réseaux mobiles de 2010, et jusqu’à cent fois plus rapides que la 4G. En multipliant la vitesse, la réactivité et la capacité quantitative de ces échanges de données, c’est le développement jusqu’alors lent et limité (car trop gourmand en données) d’un monde totalement interconnecté qui se profile, et cette fois sur une très vaste échelle : un monde truffé de caméras à reconnaissance faciale, de véhicules autonomes ou d’engins chapeautés à distance, de drones policiers et militaires pilotés par une intelligence artificielle, de la fameuse smart city, d’une administration numérique des sujets de l’Etat ou de nouveaux procès d’automation de la production,... sans compter la transformation des rapports sociaux. Dans leur novlangue, avec la 5G ça parle ainsi de « réalité et humain augmentés », de « gestion des flux de personnes, véhicules, denrées, biens et services en temps réel » ou de « faciliter le contrôle des chaînes de production dans les sites industriels ». Enfin, comme le faisait remarquer une brochure récente contre la tenue en mai dans la capitale allemande du plus grand salon européen sur l’Intelligence Artificielle (IA), le développement de cette dernière est également lié à celui de la 5G : « L’IA est, en plus d’autres facteurs, en train de changer l’économie et la société, grâce à de puissants processus d’automatisation. Que ce soit dans l’assemblage, l’éducation, la médecine, des services tels que les centres d’appels ou la conduite, mais aussi dans le perfectionnement de la technologie militaire, comme la navigation de drones autodestructeurs – l’IA prend le relais. Les IA sont utilisées par la plupart des principaux fournisseurs de services sur Internet, comme Google, Facebook et Amazon. A l’avenir, nous devrons compter sur le fait que la plupart des appareils ou objets seront équipés de capteurs connectés via Internet aux « fermes de serveurs » des multinationales (« l’Internet des objets », « Internet of Things – IoT » ). Pour être capables de traiter cette masse de données, l’Intelligence Artificielle a besoin de ces Big Data, qui eux-mêmes nécessitent des infrastructures telles que le réseau 5G ou les câbles de fibre optique ».
Depuis 2018, les bandes de fréquences attribuées pour la 5G (autour de 700 MHz ; de 3,5–3,8 GHz et de 26–28 GHz) commencent à être vendues aux enchères pour vingt ans en rapportant gros aux Etats : 380 millions de francs à la Suisse (déboursés par Swisscom, Sunrise et Salt), 437 millions d’euros à l’Espagne (déboursés par Telefónica, Vodafone et Orange), 1,36 milliards de livres au Royaume-Uni (déboursés par Telefónica, Vodafone, British Telecom et Hutchison Whampoa), 6,5 milliards d’euros à l’Italie (déboursés par Telecom Italia, Vodafone, Iliad et Wind) et au moins 5,8 milliards à l’Allemagne (déboursés par Deutsche Telekom, Vodafone, Telefónica et United Internet). En France (avec Bouygues, Iliad, Orange et SFR), elles vont débuter à l’automne, et en Belgique l’année prochaine. La plupart des pylônes supportant la 4G vont ainsi recevoir peu à peu les équipements techniques de la 5G (généralement fabriqués par Huawei, Ericsson ou Nokia), mais de nouvelles antennes-relais spécifiques géantes ou miniatures seront également installées un peu partout*, d’une puissance encore plus néfaste pour la santé, créant une augmentation générale et massive de l’exposition aux ondes.
Certes, en France la commercialisation de la 5G ne débutera qu’en 2020 et la massification de son usage est prévue pour 2022, mais c’est dès maintenant qu’ils effectuent les tests grandeur nature nécessaires à son déploiement, transformant les habitants de plusieurs villes en rats de laboratoire : Nantes, Toulouse et Francazal (SFR) ; Lille-Douai (dix antennes-relais 5G), Paris (quartier de l’Opéra), Marseille (place de la Joliette) et Nantes (Orange) ; Lyon, Bordeaux (antenne 5G à côté du musée d’art contemporain), Linas-Montlhéry (sur l’autodrome) et Saint-Maurice-de-Rémens (à Transpolis) (Bouygues). Et pour ne pas être en reste, le Commissariat à l’énergie nucléaire (CEA) dispose également d’autorisations pour expérimenter la 5G à Grenoble et sur la côte normande entre Ouistreham et Portsmouth via deux navires de Brittany Ferries. Au 27 décembre 2018, 25 tests grandeur nature dans 18 villes étaient officiellement référencés, classés selon neuf usages : mobilité connectée, IoT (internet des objets), « ville intelligente », télémédecine, vidéo UHD, jeu vidéo, expérimentations techniques, industrie du futur et réalité virtuelle, sachant que ces deux derniers secteurs regroupaient à eux seuls 20 des 25 essais in vivo. Un exemple appliqué à l’ « industrie du futur » est cette ferme-pilote automatisée avec des robots gérant 50 vaches laitières à Shepton Mallet, au sud de l’Angleterre. Les colliers connectés à leur cou communiquent directement en 5G avec les multiples capteurs et robots installés dans la ferme afin d’automatiser la traite, le brossage, la nourriture et l’ouverture des portes selon la météo. Ce projet est financé par le gouvernement anglais (Agri-EPI Centre) et développé par Cisco.
Heureusement, comme nous le rappellent tous les mois ces barbecues flamboyant en France, en Allemagne ou en Italie, la base de tout cela repose principalement sur une circulation de données entre des data centers/ serveurs et des mouchards-émetteurs, dont les informations voyagent physiquement à travers des réseaux de câbles en fibre optique et des relais de téléphonie, le tout dépendant d’une alimentation électrique (elle même composée de câbles, transformateurs et pylônes). Soit autant de structures diffuses à travers tout le territoire, à la portée de toutes celles et ceux qui disposent d’un brin de fantaisie et d’une sensibilité encore palpitante. Le G (pour « gravité ») étant d’ailleurs aussi l’unité correspondant à l’accélération de la pesanteur à la surface de la Terre, il est plus que temps d’alléger notre existence du poids de ces prothèses tant physiques que mentales. Qui plus est à 5G !
* Une grosse antenne-relais 4G en MIMO (« entrées multiples, sorties multiples ») supporte actuellement jusqu’à une douzaine de connecteurs –les grands rectangles blancs verticaux fixés dessus– (huit pour émettre et quatre pour la réception). Une antenne MIMO en 5G pourra porter jusqu’à une centaine de ces connecteurs et en beamforming (c’est-à-dire n’émettant pas le signal dans toutes les directions sous forme de parapluie mais uniquement vers où il est sollicité). En ville à population dense, les mini antennes 4G (small cells) offrent une couverture de 20 mètres pour huit utilisateurs, quand la 5G permet de placer ces antennes miniatures dans des lampadaires, abribus, panneaux d’affichage tous les 300 mètres pour des centaines d’utilisateurs en même temps. JC Decaux est bien sûr déjà sur les rangs.
[Avis de tempêtes, n. 17, 15/5/2019]